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Le Moyen Véhicule : Auto d'édition Hypertexte à prétention littéraire

305. Salaud de Dieu !

François Cosmos

Salaud de Dieu ! Salaud !... Montre-Toi !... Mooooooooontre-Toi si Tu es un dieu !... Ou fais quelque chose… Manifeste-Toi !... Je sais que Tu existes. Je sais que Tu es là, autour, tout près, dedans même, sous la peau, jusque dans mes artères… Je le sais, Tu entends ?!... Mais je sais que Tu le sais, je sais que Tu entends… J’attends, je pianote en attendant… Je pianote et je repianote…

 

 

C’est comme d’habitude, hein, rien, rien de rien, aucun signe, j’aurais beau hurler pendant des heures, des semaines, hurler jusqu’au plus haut des Cieux, nada, silenzio, Silence dans les espaces indéfinis… Tu n’existes que négativement, on ne T’arraisonne que par l’absurde !... Et malgré que Tu aies créé la possibilité de Ta Non-Existence, et la plausibilité d’y ajouter foi, et toutes les idéologies et les croyances qui en découlent ou qui s’y greffent, que Tu aies mis Ta Propre Mort en scène, même, moi je n’adhère pas à toutes ces fadaises, je ne crois qu’en Toi ! En Ta responsabilité, infinie : Tu as créé l’ataxie-télangiectasie, les dysembryomes, la blépharochalasis et le syndrome de Claude Bernard-Horner, la gutta-perchmergose, l’horrible bouton d’Orient, la constipation, le repassage, et la transpiration ; Tu as donné vie à la haine, aux albums de mariage, à l’équitation et à la littérature et la bouffe industrielles, au béton, au plastique, aux concours de l’INSERM, aux fiertés personnelle et nationales, au mépris pour les lents et les doux, et à l’écrasement des crânes des nouveau-nés qu’on arrache à leur mères, contre des murs éclatants ; les membres que l’on écartèle, les poignets que l’on hache, que l’on machette, les doigts que l’on retourne, que l’on casse, que l’on écrabouille, les ongles que l’on découpe indéfiniment, le mol monde de tout ce qu’on peut crever, transpercer, sectionner, et les sexes tranchés qu’on abandonne aux loups ! La Souffrance, Salaud, la Souffrance !... Auschwitz-Hiroshima, c’est Toi !... Et chaque jour que Tu fais, la vivace bêtise fauche des milliers d’entre nous ; et Mère Misère broie les derniers restes d’humanité demeurant en partage à ceux qui errent maigrement vêtus… Pire encore, Tu as rempli les Hommes de désirs mortifères, et du torturant espoir, et de l’oubli faussement euphorisant, et certains d’envies qui les démangent et les rongent comme mille tuniques de Nessus, et les jettent dans des gouffres dans lesquels ils s’abîment, et les entraînent à la destruction des âmes et des corps d’innocents au nombre desquels il faut les compter eux-mêmes… Et Tu prétends nous juger, dresser l’estrade dépravée de Ton Tribunal suprême, trancher de la taille de Ton Glaive corrompu dans le vif des chairs des masses apeurées, du bétail humain unanimement promis à l’abattoir ?! De quel droit ?!... Un de ces droits bien à Toi, sans doute, c’est ça les Droits de Dieu, hein, dont nous assassinent les oreilles Tes zélotes ?!... Enfoiré des enfoirés ! Tu ne vaux pas le quart d’une seule des crottes que va semant la moindre larve du plus minuscule insecte à avoir germé de Ton Imagination alambiquée et mauvaise, Créateur pervers !... De quel droit m’as-Tu destiné à ne plus jamais revoir mes parents, de quel droit remplis-Tu les quais des ports et les halls d’aéroports et les places de parkings d’ultimes adieux d’autant plus déchirants qu’ils sont insoupçonnés, de quel droit vas-Tu m’arracher l’être que j’aime tant qu’elle me manque déjà dès qu’elle détourne son regard de moi, et de ce petit bonhomme dont rien, rien Tu entends, mais Tu le sais aussi, ne me sépare quand je pose le bout de mon nez contre le minuscule bout du sien ?!...

Mais pour l’instant le bois peint en blanc et la toile rayée du transat dans lequel je suis installé, confortablement oui, pour T’écrire sont solides, et je les aperçois tous les deux jouant ensemble là-bas, pas loin de moi. L’herbe y étant rase, n’attire pas les vipères, le ciel est dégagé jusqu’aux infinis, je suis protégé d’un chapeau de paille, et la région n’a jamais abrité de bête féroce ; aucun zoo ne la défigure, aucun cirque n’y passe jamais, aucun original n’y habite qui aurait des NAC féroces comme bêtes de compagnie. Rôdeurs et maraudeurs ne s’aventureraient pas si près d’une aussi pimpante gendarmerie ! J’ai passé victorieusement un scanner pas plus tard qu’hier, et mon dernier bilan sanguin complet date de moins d’une semaine. Pas de conflit en vue. Pas de guêpes cette saison. Pas d’arbre au-dessus de ma tête dont une branche pourrait casser, se détacher, ou d’où une chenille à la morsure ou aux soies devenues subitement mortelles pourrait se laisser tomber. La rivière à mes pieds meut sa nacre au ralenti, prête à s’immobiliser sous mes yeux ; à peine si j’entrevois tanguer, délicatement, les nymphéas entre les fines volutes de la balustrade. Au loin, sur les premières pentes des coteaux, les taches claires des chemises des moissonneurs virevoltent dans la poussière dorée des épis ébouriffés, se mêlant et se démêlant en un tourbillon perpétuel. A les écouter longuement, obsessionnellement, les incessants craquètements des criquets disséminés dans la nature environnante se fondent en un métronome éternel. Et dès lors que cette mignonne feuille vert pâle qui semble me considérer avec tendresse ne reçoit l’agitation du moindre souffle d’air, quelle résistance persiste à l’immuable évidence d’un arrêtement du Temps ?... En cet instant, et le suivant, et le suivant encore, et la minute et l’heure qui viennent (c’est lent une heure, c’est long une heure de l’immarcescible bonheur de contempler, de se repaître de son propre bonheur, et si, moi qui y suis habituellement peu sensible, je me mettais à en explorer les odeurs, les senteurs de cet instant, leurs nuances, à les laisser monter de mes narines à ma conscience, les mille sans doute de la chaleur, les mille senteurs de l’été, des lointains, de l’air, de la Nature, de la rivière, les odeurs qui sourdent de moi, mon parfum, celui de la toile, du bois contre lequel j’appuie la chair de mon bras moite… c’est pour de bon que je pourrais figer définitivement Ton foutu Temps…), Tu ne peux rien contre moi ni contre le Monde que je porte en moi… Je suis immortel et je T’emmerde infiniment… (4 juillet 1988.)

 

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