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Le Moyen Véhicule : Auto d'édition Hypertexte à prétention littéraire

112. Petibou. Où l’on apprend comment nous nous sommes rencontrés. (Nouvelle traduite du français par l’auteur)

François Cosmos

[…] peux m’empêcher de fouiller dans les corbeilles à papiers usagés de mes collègues de bureau. Je reste exprès le soir après tout le monde, prétextant un travail urgent à terminer, mais, comme cela se reproduit à peu près tous les jours sauf les veilles de vacances où j’ai le bus de 17 h 44 à prendre pour aller rejoindre ma femme et mes enfants à F***, personne n’est dupe. Pourtant, il n’est probablement pas non plus un seul de mes collègues à ne pas être convaincu que je ne fais ce zèle que pour impressionner favorablement notre chef de service, idée dont ils pourraient pourtant facilement se défaire en réfléchissant un peu, puisque notre chef de service est toujours le premier à sortir, quelques minutes avant l’heure.

 

Non : Je ne m’attarde que pour faire les poubelles, entre le moment où le dernier de mes collègues passe la porte de notre bureau après m’avoir jeté un « Bonsoir ! » ou un « Bonsoir, à demain ! » d’un air méprisant ou goguenard, selon l’individu – il en est même qui ne m’adressent pas la parole à cet instant-là –, ou même une « Bonne nuit ! », et celui où une escouade de techniciennes de surfaces horizontales bariolées et braillardes fait irruption dans la pièce avec l’allure de vouloir la mettre à sac. Le plus souvent, je ne dispose que de quelques minutes, et ne peux visiter que deux ou trois poubelles par soir. Une seule fois – les femmes de ménage étaient en grève –, j’ai pu retourner une à une les quarante-quatre spécimens de notre bureau, et je me serais également attaqué aux bureaux voisins si je n’avais été dérangé par le veilleur de nuit qui me braqua soudain la lumière de sa lanterne en pleine figure, ce qui me fit prendre conscience qu’il devait être très tard, et que je déchiffrais depuis un bon moment sans doute tous ces papiers froissés ou en morceaux à la seule lueur de la lune. Je recouvrai aussitôt mes esprits, sautai sur mes jambes, et, prenant à témoin l’autre qui ne m’avait encore rien demandé, m’en pris au crétin qui aurait jeté la circulaire, arrivée le jour même, faisant état des dernières directives concernant la présentation du courrier destiné à nos comptoirs à l’étranger. Le veilleur de nuit compatit – il avait apparemment une sorte de respect pour moi, sans doute parce que, me voyant sortir le dernier presque tous les soirs, il devait être persuadé que j’étais chef de service, et que je ne tarderais pas à passer sous-directeur –, et me proposa, par gestes, de m’aider à rechercher cette circulaire, qui pouvait s’être égarée dans les bureaux voisins. Le premier moment de surprise passé – je ne le savais pas muet : c’est en soulevant légèrement son képi qu’il me saluait chaque jour d’à travers la vitre de sa guérite –, je le remerciai, prétendant être fatigué, mais je lui demandai de vouloir bien, en revanche, aller vider les contenus des corbeilles, qui gisaient chacun près de sa chacune, dans le grand vide-ordures du rez-de-chaussée – je laisse d’habitude ce soin aux femmes de ménage. Tout cela avec les mains, jusqu’à ce qu’il parvienne à me faire comprendre qu’il n’était pas sourd.

 

Cette seule fois donc, j’ai pu tout explorer, mais, la quantité n’entraînant pas automatiquement la qualité, la moisson en fut assez maigre : quelques gribouillis obscènes, de balourdes fautes d’orthographe, et des erreurs de virgule ridicules dans des opérations faites à la main – il y en a encore qui n’osent pas se servir des multiplicateurs dernier cri que nous a offerts la Direction pour les quarante-quatre ans de notre entreprise… Par contre, certains soirs, les quelques corbeilles que je retourne doivent être les bonnes, car je tombe sur de véritables petits joyaux : des haïku, par exemple, en règle générale tellement idiots qu’ils vont jusqu’à déclencher chez moi de terribles fous rires, parfois au point que les femmes de ménage me découvrent tout secoué de hoquets, les quatre fers en l’air au milieu des ordures, essuyant des larmes hippopotamesques avec le verso de la feuille qui porte l’objet de mon hilarité – il s’agit de ne pas abîmer le joyau, qui ira rejoindre ma collection de bouts de papier, dûment rangé dans un de mes classeurs – ; ou encore des lettres d’amour, dans leur entier et simplement froissées quand c’est dans la poubelle du destinataire, ou des embryons, des segments de phrases raturés ou mal terminés quand c’est dans celle de l’expéditeur, et elles sont alors soigneusement déchirées jusqu’au degré où un lecteur pressé ne peut plus rien en tirer – mais j’ai de la patience…

 

Il y a deux ans, j’ai suivi ainsi la correspondance amoureuse entre deux de mes collègues, une jeune fille brune qui venait tout juste d’être embauchée, et un colonel de gendarmerie en retraite qui ne se trouvait parmi nous que pour rendre ses fins de mois, et par-là ceux de sa pléthorique famille, moins difficiles, puisqu’il ne faisait, toute une journée, que donner de vigoureux coups de menton – et, tout le temps qu’a duré leur relation épistolaire, écrire à ladite jeune fille. Avec la tendre ardeur de son âge, celle-ci n’avait pas passé trois semaines dans notre bureau qu’elle était déjà tombée amoureuse de ce moustachu bien mûr, et qu’elle le bombardait de lettres enflammées, au moins deux par jour. Lui les jetait systématiquement au panier après les avoir soigneusement lues puis pliées neuf fois, ce qui les ramenait aux dimensions d’une balle de fusil. Puis, puisant dans sa plus noble écriture, il lui répondait de manière courtoise, tentant de la raisonner, mettant en avant sa situation familiale, les dix-sept enfants et petits-enfants que son épouse, veuve d’un général, conservait de son précédent mariage, et dont pas un n’avait encore de métier – ce qui était rigoureusement exact, car il n’a rien d’un menteur, ni d’un humoriste. Ses lettres finissaient dans la corbeille de la jeune fille, parmi les mouchoirs trempés de larmes violettes – mélange d’eau salée, de rose à lèvres et de bleu pour les yeux – et les épluchures de pommes. J’avais remarqué leur manège quasiment depuis le début, aussi je commençais toujours ma quête par leurs deux poubelles, et, mis à part les toutes premières lettres et celles des veilles de vacances, je possède leur correspondance dans son intégralité. Cela dura environ trois semaines, et le jeu me devenait même un peu monotone à cause du manque d’imagination des deux protagonistes, quand, un lundi soir, je ne trouvai de lettre dans aucune de leurs deux corbeilles. De même le lendemain, et le samedi suivant, et depuis, plus jamais. La jeune fille semblait maintenant travailler normalement, ne mouillait plus de mouchoir et avait repris ses couleurs, et le colonel avait recommencé de ne rien faire ; pourtant, quand elle passait près de son bureau, désormais toujours sans le regarder, il jetait systématiquement un coup d’œil sur ses jambes, par en dessous. Je n’eus l’explication de cette rupture épistolaire que quelques jours plus tard, lorsque, regardant par le trou de la serrure du bureau de notre chef de service avant de frapper à sa porte, j’y découvris la jeune fille, la jupe haut relevée, dans les bras de celui-ci.

 

Cette drôle d’histoire d’amour m’en rappelle soudain une autre que, bien qu’elle me concerne au premier chef – mais n’éveille plus en moi de douloureux souvenirs –, je souhaite vous narrer maintenant, Monsieur le Responsable, juste avant que d’en venir à l’affaire qui motive mon présent courrier. J’espère que vous voudrez bien excuser la liberté qu’ainsi je prends, et que cette nouvelle digression saura vous amuser. Il y a quelque temps, je fus pendant quelque temps fou de désir pour Mme G***, une collègue dont le bureau n’est qu’à quelques mètres du mien, appuyé perpendiculairement à une baie vitrée, et dont le profil à contre-jour me faisait le plus grand effet. Comme j’en ai l’habitude dans ces cas-là, je prolongeais mes regards soutenus par de petits mots que je lui faisais passer, et qui, de respectueux et tendres au début, devinrent de plus en plus câlins, puis, sous la pression d’une frustration croissante – car elle ne daignait même pas y répondre –, carrément et familièrement osés. Mais, chaque soir, j’éprouvais le dépit amoureux de les retrouver au fond de sa corbeille, ce qui présentait tout de même l’intérêt qu’ils pouvaient me resservir, soit à rédiger les suivants en évitant de reprendre les mêmes inefficaces tournures, soit, quand ils avaient eu le temps de s’imprégner quelque peu de son odeur ou du parfum de sa crème pour les mains, de la manière que vous pouvez imaginer. Malgré tout, je gardais espoir et persévérais, car, à chaque fois que nous nous retrouvions l’un près de l’autre dans l’ascenseur, ou devant la machine à café à la pause, ou dans la queue du restaurant, elle mordait terriblement ses lèvres et semblait prise de frissons dans le dos. Et puis un soir – c’était un mardi –, l’absence d’événement tant attendue se produisit : il n’y avait pas, parmi la douzaine de froissouillis de lettres, enveloppes et tracts qui remplissait sa corbeille avec un pot de yaourt aux fruits de la savane, mon billet de la journée. Saisi alors d’un fol espoir, j’ouvris grand la première fenêtre qui s’offrit à mon excitation, pour pouvoir hurler « Hosanna ! » à l’extérieur, et sans doute avec une puissance rarement atteinte par un gosier humain, puisque, poussé du quarante-quatrième étage, ce cri grotesque fit relever la tête aux passants que je voyais dans la rue, tout en bas, comme de petits points virant soudain du noir ou du blond, au blanc – il circule peu d’étrangers dans le quartier des affaires. Le lendemain, j’eus pourtant la surprise, alors que j’arrivais au travail joyeux et tremblant, de la trouver absente, et la surprise encore plus grande, immédiatement après, d’être convoqué sur-le-champ par notre chef de service, qui m’accueillit en brandissant au-dessus de sa tête, puis de la mienne, ledit billet, dans lequel, selon lui, apparaissaient plus d’une trentaine de fois, entre autres horreurs, les mots cul et nichons. Vous vous doutez de la suite : Je dus avaler ce bout de papier sous les yeux de mon chef de service, puis, sous sa dictée, écrire une lettre d’excuses à ma victime, laquelle, après une semaine de repos bien méritée, reprit sa place près de la baie avec l’air de celle pour qui tout serait oublié. Elle m’observait seulement de temps à autre de la queue-de-l’œil pour vérifier que, comme l’avait imaginé notre chef de service, ma meilleure punition serait bien le supplice de l’avoir encore sous les yeux tous les jours, du matin jusques au soir, surtout pendant les grandes chaleurs. Je ne pus desserrer ce carcan, qui me broyait l’esprit et aurait pu me rendre fou, qu’en séduisant sa meilleure amie, qui occupait le bureau faisant immédiatement face au sien ; certes, elle était nettement moins attirante, mais sa possession n’en avait que plus le suave goût de la vengeance…

 

Voilà, Monsieur le Responsable, comment dans notre Administration vont les choses de l’écriture et de l’amour, et je touche maintenant à l’objet principal de la présente lettre, dont je vous ai résumé l’intérêt et suggéré une utilisation que vous pourriez en faire dans ses premières lignes. Il y a donc dans notre bureau un « vieillard », qui ne doit pas en fait être de beaucoup plus âgé que moi, mais que les maladies à la mode, les vagabondages de sa progéniture, les soucis d’argent frais, l’inquiétude scatologique ont tant rongé, ridé de la face et blanchi des cheveux qu’il pourrait passer pour mon père, car il me ressemble. Sa barbe rousse est aux trois-quarts grise, ses lunettes toujours constellées d’éclaboussures de dentifrice, aussi c’est avec stupeur que, la veille d’avant-hier, j’ai découvert dans sa corbeille, sous la forme de dix-sept feuillets recto recouverts d’une écriture féminine bien pliés dans une enveloppe petit format, l’exceptionnel document que je livre à votre discernement et à votre courage. Je tairai ici le nom de l’auteur, de peur qu’il ne tombe entre des mains non amies, mais je le tiens bien évidemment à votre disposition pour le moment où, sur un signal de ma part, vous aurez décidé d’agir. Ce sont les mêmes craintives raisons qui m’ont incité à ne vous transmettre pour l’instant qu’une copie de l’original – que je garde en lieu sûr –, mais faite avec le plus grand soin, pendant l’entièreté d’une nuit, et dont je vous garantis sur l’honneur la parfaite conformité avec le manuscrit dont, par ailleurs, le déchiffrement fut aisé. Voici ce texte :

 

Certains jours, on décide que je sois Petibou : Petibou, c’est ce personnage de mes livres d’enfant qui n’était pas plus gros qu’un trou de souris, puisqu’il y avait ses appartements, dans un coin de la salle à manger d’une famille catholique de L***, les C***.

 

Pour ne prendre que l’exemple le moins ordinaire, un soir, jetant par hasard un coup d’œil à travers les vitres embuées du restaurant devant lequel je passais par hasard, j’y aperçus une très jolie jeune fille blonde à l’air naïf et aux grands yeux doux qui dînait en tête-à-tête avec une amie (?) beaucoup moins blonde, moins jeune, mais malgré tout jolie. Je trouvai la première aperçue si belle, que je me transformai aussitôt en Petibou.

 

Evidemment, à partir de ce moment-là, je n’eus plus assez de force pour porter mon cartable en cuir, qui était maintenant trois à quatre fois plus haut que moi, aussi je l’abandonnai sur le trottoir, contre le mur du restaurant, en espérant que personne ne le remarquerait jusqu’à ce que je puisse revenir le chercher, quand j’aurais retrouvé ma taille normale (je ne contrôle pas mes transformations, pas plus celles de moi-même en Petibou que celles de Petibou en moi-même, et ce, bien que, quand je suis moi-même, je sache très bien comment redevenir moi-même étant Petibou, et réciproquement, mais je l’oublie, respectivement en devenant Petibou, et en redevenant moi-même).

 

Profitant alors de l’entrée tapageuse d’une bonne demi-douzaine de clients dont l’un, qui étrennait probablement une paire de grosses chaussures en feutre orange avec des lacets mauves, faillit m’écraser dans sa hâte, je me glissai à l’intérieur du restaurant et courus me réfugier sous la table qui m’intéressait.

 

Personne ne m’avait remarqué. Personne ne me remarque jamais, d’ailleurs, puisqu’un être humain de ma taille, ça n’existe pas (enfin, quand je dis personne, il y a bien quelques personnes qui me remarquent parfois : nous en verrons un exemple plus loin).

 

Vue de dessous, elle était encore plus attirante : ses jambes gainées de bas très fins en soie blanche étaient interminables, et elle agitait du bout des doigts de son pied droit un escarpin beige du plus beau cuir. Elle était habillée bien court (une jupette vieux rose plissée qui était loin de descendre jusqu’à mi-cuisses) pour la saison (on approchait de Noël), mais un ample manteau de fourrure fauve jeté sur le dossier de sa chaise, et qui traînait curieusement à terre, devait suffire à assurer son confort thermique à l’extérieur. Sa voix coulait jusqu’à moi comme du miel de romarin dans du lait tiède.

 

Pour l’entendre mieux, j’entrepris d’escalader sa chaise, et, au terme d’une série d’acrobaties entre les barreaux que je n’aurais même pas osé imaginer dans mon état d’homme ordinaire (ce qui démontre bien que je ne me contrôle pas quand je suis Petibou), je parvins à me rétablir en position assise au bord de son siège, sous la corolle de sa jupe plissée, entre ses cuisses qu’elle venait de décroiser, mes jambes pendant dans le vide. Alors là les ami(e)s, je vous laisse imaginer la chaleur qu’il faisait à cet endroit-là, et l’inversion de température par rapport à l’extérieur, et même par rapport à la salle de restaurant, au pied de la chaise où je me trouvais tout à l’heure, au milieu des courants d’air. Et mon pardessus, qui m’enveloppait encore puisqu’il avait rétréci dans les mêmes proportions que moi (ce qui m’étonnera toujours), commençait à me peser.

 

J’envisageai l’espace d’un instant de m’en débarrasser pour éviter de suer et, partant, de sentir des aisselles, mais je n’eus pas le temps de prendre une décision et moins encore de la mettre à exécution car elle croisa soudain les jambes de nouveau, et je manquai de mourir étouffé entre ses deux chairs tendres (douce mort pourtant, s’il en est…). Heureusement (ou malheureusement, donc, je ne saurai jamais, ou plutôt, je ne sais pas encore, car qui sait ?) je pus bondir sur la cuisse (la droite) qui venait recouvrir l’autre (la gauche, est-il besoin de le préciser ?), et sur le dessus de laquelle je me hissai en en agrippant avec mes dix petits doigts la matière (du beurre, de la mousse de saumon, de la crème anglaise à la pistache…) à travers les mailles de son bas. Cela dut la chatouiller un peu, car je vis bientôt arriver une main aux ongles délicatement nacrés qui se mirent à gratter l’endroit qui portait encore dix petites marques, une main plus grande que moi et qui aurait facilement pu m’aplatir ; je fus soulagé de la voir se retirer.

 

Le calme revint alors sous la jupe. Je me tenais à califourchon sur la bande de chair nue qui se montrait entre le bord inférieur de la petite dentelle (d’où sortaient quelques poils blonds bouclés qui, dans la pénombre du lieu, paraissaient d’or) et le bandeau élastique du bas. Pas de jarretelles, donc (je n’en suis pas un inconditionnel). Il faisait très bon. Les bruits du dehors me parvenaient assourdis : murmures grondants, rafales de rires finissant en échos, cliquetis des couverts contre les assiettes et contre les verres, et des verres entre eux. Je pus alors réfléchir quelques instants posément, et j’eus soudain très peur : Pourquoi Petibou m’avait-il entraîné ici ? Qu’y cherchait-il, que voulait-il exactement ? Je n’arrivais pas à le comprendre, même en me concentrant, et pourtant j’étais Petibou…

 

Toutes ces réflexions me fatiguèrent beaucoup (je ne disposais plus que d’un minuscule cerveau, qui plus est pour régler la circulation intellectuelle de deux personnes intriquées l’une dans l’autre), et, la chaleur et le bercement de ce grand corps souple autour de moi, dont je sentais battre les veines, aidant, je ne tardai pas à avoir très sommeil. Je me glissai alors sous le bandeau de son bas comme on entre sous ses draps (j’étais un peu serré toutefois), et, sans doute très rapidement, je m’endormis.

 

Je fis alors le rêve que voici :

 

Comme j’étais Petibou, je rêvai de moi-même (moi-même l’homme normal). Je passais normalement devant un restaurant lorsque soudain, jetant un coup d’œil à l’intérieur par-dessus les demi-rideaux qui en décoraient les vitres, j’y découvrais la même jeune fille que dans la réalité, habillée de la même manière, assise à la même table dans l’exacte même position. Par contre, elle dînait seule, ce qui m’arrangeait. Je franchissais la porte au sein d’un flot de fêtards déjà ivres tout en essayant de piétiner les chaussures mauves avec des lacets en feutre orange d’un petit type dont la figure m’agaçait (en vain). Dedans, le restaurant n’était pas le restaurant réel, mais un restaurant (tout aussi réel) à F*** (juste en face de la gare à chevaux, pour ceux d’entre vous qui chercheraient un endroit où manger) : les nappes étaient vert d’eau et non plus roses, il n’y avait que deux verres au lieu de trois par convive, cela sentait plutôt le poisson que les viandes en sauce (pourtant c’est D***, où j’habite et je travaille, le port de mer, et non pas F***, qui en est à plus de cent vingt kilomètres), et les serveurs n’avaient pas tous le crâne rasé (j’ai omis de vous signaler que, dans la réalité, le restaurant de D*** emploie des garçons uniformément chauves, et constitue par-là la principale curiosité de notre petite ville). Dédaignant la serveuse qui s’avançait vers moi pour me proposer une place près de la porte, je venais me planter devant notre amie et, m’inclinant devant elle comme je ne l’avais plus fait depuis qu’on m’avait présenté au Commandeur de notre Marine au cours d’un long dîner en ville, je lui demandais de ma voix la plus chaude la permission de m’asseoir à sa table. Elle était en train d’étaler de la mousse de saumon sur des tartines beurrées tout en considérant d’un air rêveur un grand saladier de crème glacée à la pistache qu’on venait de lui déposer, mais la moue qu’elle se mettait à faire ne s’adressait manifestement pas à la qualité ou à l’aspect de la nourriture. Passant outre, je saisissais la chaise qui lui faisait face et m’y installais, armé de mon sourire le plus désarmant, tout en demandant à la serveuse, qui m’avait suivi d’un air apeuré, de m’apporter un couvert. La serveuse faisait oui du bout des lèvres, tout en louchant du côté de sa cliente, mais c’était avec les dents serrées, ses yeux dardés dans mon regard, que celle-ci me lâchait dans un sifflement : « Je vous ai dit non ! Laisse-moi tranquille ! ». Pourtant, ce n’était qu’après que je lui avais posé mes mains sur ses genoux par-dessous la table, pour la calmer, qu’elle me renversait le saladier sur la tête.

 

Heureusement, ce cauchemar n’était qu’un rêve. Et le rêve, c’était la réalité : je me trouvais effectivement trempé de la tête aux pieds, je baignais véritablement au sein de quelque chose qui ressemblait à de la crème anglaise à la pistache, mais qui s’avéra vite plus odoriférant et plus suave au toucher que ne l’aurait été le contenu d’un saladier me dégoulinant le long du corps (du moins le supposé-je, non tant parce qu’on ne m’a jamais réellement versé un tel contenu sur le crâne, ni quelque autre contenu d’ailleurs, mais bien parce que je ne peux imaginer plus odoriférant et plus suave au toucher que ce qui était en train de me couler dessus… à part peut-être une perle de sueur née au creux de l’aisselle d’une apprentie manucure encore vierge, s’étant chargée de senteurs épicées en se faufilant parmi son duvet ambre et roulant sur la peau sucrée de son br… mais je m’égare).

 

Je ne mis pas longtemps à identifier la substance miraculeuse : elle prenait sa source sous la dentelle de la jeune fille sous le bandeau du bas droit de laquelle je m’étais endormi dans un restaurant du centre de la ville, et s’écoulait le long de sa cuisse jusque sous ledit bas, juste à l’endroit où ma présence soulevait celui-ci comme pour lui ménager un passage. Tout cela, je ne fis tout d’abord que le deviner, car j’étais plongé dans l’obscurité la plus complète (nous avions dû changer de lieu, car je n’entendais plus non plus les sons caractéristiques d’un restaurant, mais un unique et étrange ronronnement par instants recouvert par des cris qui semblaient ceux de titans aphones assis en rond au fond d’un gouffre), et je ne pus confirmer mes suppositions qu’après avoir allumé ma lampe de poche, que je transporte toujours dans une de celles de mon pardessus (et qui avait rétréci dans le même rapport que mon pardessus et moi, ce qui ne vous étonnera pas) : la chose liquide m’apparut alors, constellée de milliers de points lumineux par la lampe, telle la Voie lactée elle-même soudain découverte par la brume. La senteur en était suffocante, mais je me faisais l’effet d’un géant couché parmi les étoiles.

 

Quand elle devint trop forte (cette senteur), je me bouchai le nez, ce qui me déboucha les oreilles, et je compris alors tout à la fois où nous nous trouvions (dans un cinéma), et à quelle sorte d’activité se livraient les titans de pellicule aphones dans leur gouffre. Je constatai aussi tout aussitôt que je me trouvais moi-même dans le même état émotif que la jeune fille, mais peut-être était-ce plutôt dû dans mon cas au rêve que je venais de faire, au contact de sa chaleur, de sa chair ou de ses épanchements, ou à la première vision que j’avais eu d’elle, il y avait de cela un siècle, sur le trottoir du fameux restaurant.

 

Soudain ce fut le bouquet final, une apothéose crépitante et précipitée d’aboiements rauques prématurément interrompue par une musique criarde, et les lumières se rallumèrent brutalement (qui me parvinrent tamisées), ce qui provoqua les protestations d’une partie du public (quatre spectateurs, d’après mon évaluation auditive). Ma jeune fille ne dit mot, mais se leva brusquement, et cette secousse, à laquelle je ne m’attendais pas, m’envoya vers le fond du bas, jusqu’à hauteur de son genou contre lequel je vins buter. Elle en ressentit alors quelque chose, mais, comme elle me l’expliquera plus tard, elle n’osa pas jeter un regard ou faire un geste qui auraient pu paraître provocants à ce public prédisposé, et elle sortit la tête haute, les lèvres serrées, les yeux fixés sur la ligne des lumières du boulevard au-delà de l’écran de fumée de la porte ouverte à double battant. Puis elle oublia.

 

Quant à moi, j’étais maintenant dans une position plutôt inconfortable : j’avais le visage écrasé par la soie comme celui des gangsters, et surtout, je me trouvais offert à la vue de tout le monde (je vous ai déjà appris, je crois, comme sa jupe était courte). J’étais terrorisé, mais j’eus assez de présence d’esprit pour éteindre ma lampe afin de ne pas me faire repérer. En sortant du cinéma, elle prit à gauche et accéléra (elle craignait d’être suivie). Tous les deux pas qu’elle faisait en claquant du talon contre le trottoir, je descendais un peu plus à l’intérieur du bas, et je voyais arriver le moment où, passant la rotule, je serais précipité dans sa chaussure.

 

Je m’en trouvais là de mes supputations apeurées quand je me retrouvai tout à coup nez à nez avec un autre genou. Pas le second sien, mais celui d’un type qui venait de l’aborder et qui menaçait, au vu de la largeur de sa jambe de pantalon en flanelle bleu marine, d’être énorme. Il déversa sur ma jeune fille un flot grossier de propositions que je ne peux reproduire ici (ce conte s’adressant tout de même en premier lieu à des enfants), tout en se rapprochant dangereusement (pour moi). Heureusement, elle se dégagea bien vite en criant « Va te faire f… ! » ou quelque chose d’équivalent (ce qui m’étonna de sa part), et se mit à courir le long du boulevard (non ! n’allez pas croire que j’étais étonné de son refus : c’est à cause de la vulgarité de son langage, qui jurait avec la qualité du cuir de ses escarpins) sur une centaine de mètres, puis elle s’engouffra successivement sous une porte cochère, par une porte vitrée, et dans un ascenseur.

 

Qui nous déposa au quatrième. Pendant tout ce temps, j’étais évidemment tombé au bord de son escarpin (occasionnant une grosse boursouflure à son bas), et je me faisais tout petit petit (mais pas trop, pour ne pas glisser sous sa plante de pied). Elle jaillit de l’ascenseur comme une furie, ouvrit une porte d’appartement clé en avant dans le même mouvement, puis, après s’être barricadée à l’intérieur, se jeta en arrière sur le premier (le seul en fait de l’unique pièce de son logement) lit venu en envoyant voltiger ses chaussures en direction du faux lustre. Elle soufflait comme une forge, et mes oreilles sifflaient terriblement car j’avais fait plusieurs fois le tour de sa cheville à la vitesse d’un cosmonaute à l’entraînement.

 

C’est à partir du moment où elle recouvra plus de la moitié de son calme qu’elle prit conscience de ma présence. Je la sentis se raidir, puis se redresser lentement, précautionneusement, en ramenant ses jambes à elle ; quand j’atteignis avec son pied le dessus de son lit, elle poussa un cri suraigu dès qu’elle m’aperçut et se débarrassa de son bas (et de moi) comme s’il la brûlait. Elle se retrouva alors debout au pied de son lit sur la pointe des orteils, électrisée, fixant hypnotiquement la petite boule de bas pelotonnée dans un creux de sa couette et qui s’égosillait de toute la force d’une voix minuscule : « N’ayez plus peur ! N’ayez plus peur ! N’ayez plus peur ! N’ayez plus peur !... »

 

Quand la fatigue nous arrêta, moi, de crier, et elle, de haleter, le silence nous remplaça. Je retenais ma respiration, craignant le pire (elle va m’écrabouiller avec sa chaussure ou sous une poêle à crêpes, ou me jeter par la fenêtre directement dans une des poubelles de la cour), l’écoutant avaler. Elle avala une bonne dernière fois, puis se réapprocha du lit. Elle saisit alors vivement, entre deux doigts, le talon de mon bas pour le secouer, le secoua, et je tombai face contre la couette, après trois rebonds (sur les fesses, sur le dos, sur l’occiput) ; puis elle fit deux pas en arrière. Relevant la tête, je me retrouvai dans la position d’un idolâtre implorant son idole ; bandant une ultime fois mes cordes vocales, je hurlai désespérément, comme quand quelqu’un m’effraie : « N’ayez pas peur : je ne vous veux aucun mal ! ».

 

Je crois bien que cela faillit la faire pouffer (nerveusement) ; en tout cas, elle parut se détendre quelque peu, assez pour pouvoir me demander d’une voix encore hachée menu par les émotions en série : « Qui es-tu ? ».

 

Ouf ! la menace s’évanouissait, et mes muscles reprirent de leur souplesse ordinaire : « Je m’appelle Petibou. » (Notez que je ne prétends jamais être Petibou, mais tout au plus me nommer ainsi. Car qui suis-je au juste quand je suis Petibou ?)

 

Ce nom dut la rassurer, car elle s’approcha de nouveau et s’assit au bord du lit tout en me décorpsisant (car mon corps était pour elle mon seul visage) avec curiosité de ses grands yeux doux : « Es-tu un homme, ou un génie ? »

 

« Génie, dans quel sens ? » manquai-je répondre, mais je me retins à temps, de crainte de paraître présomptueux ou (?) imbécile, et, à la place, j’en profitai pour lui raconter toute mon histoire, en insistant sur la partie qui était aussi la sienne.

 

Elle la fit rire beaucoup (d’abord de manière assez retenue, puis de plus en plus librement), et aussi réfléchir à ce qu’elle avait pu ressentir de ma présence depuis le restaurant, et je vis son regard se figer plusieurs fois intérieurement. A la fin de mon récit, nous étions devenus tout à fait amis : elle avait quitté son manteau de fourrure et ôté son second bas, et se tenait à demi allongée sur le lit, sa tête (j’étais haut comme son joli nez) appuyée sur un coude tout près de moi (ce qui la faisait légèrement loucher, mais ajoutait à son charme, et à mon trouble).

 

« Veux-tu boire quelque chose ? » Pendant qu’elle pressait un pamplemousse dans le coin cuisine, je fis des yeux le tour de la pièce (qui, même à moi Petibou, parut minuscule) : c’était un mélange émouvant (et je tombai aussitôt amoureux d’elle) de précis de chimie physique et de reproductions de miniatures persanes (plus quelques romans passés de mode) recouverts de colliers, de foulards de toutes sortes de jaunes, et de mignons flacons de parfums et de vernis à ongles (il y avait aussi un Çiva en bois qui me faisait amicalement signe de toutes ses mains ; seul un pantin manchot assis sous la fenêtre sur une chaise d’enfant me dévisageait ulcéré). Elle attrapa l’un de ces flacons et me servit quatre gouttes de pamplemousse dans son bouchon. Je tenais cela à deux mains tout en la contemplant d’un air qui oscillait entre l’amour en naissance et la reconnaissance éperdue, sans oser lui annoncer que trônait un fort goût de vernis dans son jus.

 

Tandis qu’elle buvait lentement tout en m’observant boire, je surpris son regard devenir de nouveau bizarrement fixe. Elle posa son verre sur la table de nuit, et me lança à brûle-pourpoint, en se retournant vers moi : « Petit cochon, hein, alors comme ça on va se promener dans les dessous des dames ?! » ; et elle se mit à me chatouiller horriblement (je suis très chatouilleux en Petibou, contrairement à mon moi normal) en répétant « Petit cochon ! Petit cochon ! » entre ses dents.

 

Je criais grâce, mais elle continuait, et ne cessa que quand elle me vit près d’étouffer. Elle pencha alors son visage aux immenses yeux de velours au-dessus de moi crucifié de fatigue au milieu de sa couette, et m’apaisa de la brise parfumée qu’exhalait sa bouche démesurée. Pourtant son regard reprit bien vite un éclat bizarre, et même tout à fait étrange ; elle me saisit alors dans sa main gauche et entreprit de me déshabiller avec la droite.

 

Je n’aimai pas me laisser faire, d’autant qu’elle me griffait en introduisant ses ongles sous mes vêtements, mais je fus bientôt tout nu. Dès que je le fus, elle recommença de me chatouiller atrocement en riant aux éclats (moi de même, mais bien malgré moi). Quand elle en eut assez, elle recomposa son air bizarrement étrange pour m’annoncer, en levant un index grand comme moi près de sa tempe, à quelques centimètres de moi : « Je te montre, mais tu ne touches pas, d’accord ? surtout pas, hein !? »

 

Alors elle défit son collier de perles blanches, puis les boutons de son chemisier saumon, qu’elle quitta. Elle s’agenouilla ensuite sur le lit et enleva sa jupette vieux rose plissée. Jetant un œil vers moi, elle s’aperçut alors qu’un détail avait bougé : une partie de moi-même était apparue, auparavant microscopique, mais désormais bien visible (et comment !). Comment qualifier dès lors son regard ? étrangement étrange ? inquiétant, même…

 

Il s’ensuivit qu’elle fut prise de l’envie de se pavaner en sous-vêtements devant moi (idée qu’elle avait probablement inconsciemment puisée dans un vilain film du même genre que celui devant lequel elle m’avait précédemment entraîné contre une partie de mon gré), et particulièrement de m’agiter ses seins, dont plus que les hémisphères supérieurs débordaient d’un soutien-gorge ridicule (par la taille), sous le nez. Que pensez-vous qu’il advint ? Je plongeai avidement mes deux pauvres petites mains dans la boule de chair la plus proche.

 

« Nooooooooooooooooon !!! » cria-t-elle, mais trop tard : elle n’eut le temps que d’arracher sa petite dentelle (à laquelle elle tenait particulièrement, la tenant de sa marraine, sus-je plus tard de sa bouche) avant que de se mettre à grandir, grandir, grandir, grandir… Ses jambes s’allongèrent jusqu’à toucher les murs, ses hanches s’élargirent aux dimensions du lit, et ses seins en gonflant comme des montgolfières firent craquer son soutien-gorge qui claqua comme un fouet à mes oreilles, fila en sifflant à travers l’atmosphère de la pièce, et atterrit en tournoyant autour d’un des bras du Çiva sur la commode. Heurté, secoué, puis ballotté par le bouleversement de sa chair comme une barque sur la mer démontée, je me raccrochai à l’un de ses tétons qui passait près de moi et qui m’enleva dans les airs à une vitesse qui me parut vertigineuse (je voyais foncer le plafond clair contre lequel j’allais me ratatiner, et je fermai les yeux et courbai la nuque) ; mais l’enflement prit heureusement fin cinquante bons centimètres avant de devenir catastrophique. Je me retrouvai assis au sommet de son sein, agrippé à son téton que j’enlaçais des bras et des jambes comme un arbre (il en avait, à mon échelle, le diamètre, mais non la hauteur puisqu’il ne me dépassait qu’à peine), oscillant dangereusement en décrivant des cercles avec son aréole.

 

Que vous soyez un homme ou une femme, vous pensez sans aucun doute savoir à quel point la peau humaine est à cet endroit-là transparente et finement élastique. Foutaises ! (Passez-moi l’expression…) Vous ne savez rien ! Je le sais depuis cette expérience unique (en son genre, mais pas en nombre) durant laquelle je roulai nu sur elle (la fine peau élastique transparente), craignant à chaque instant de la voir se déchirer sous la tension (et de tomber, et je serrais de toutes mes forces limitées le téton turgescent, d’un rouge plutôt foncé pour une blonde).

 

Je ne pus entendre qu’une voix grave et chaude, mais féminine, m’appelait (« Petibou ? Pe-ti-bou ? Tu n’as pas de mal ? »), que quand je fus suffisamment habitué au mouvement de précession que j’accomplissais à la pointe de son sein. Cela montait de loin, de tout en bas, du plus profond de la gorge (l’autre, la vraie) de ma Grossedoudou (je vous confie bien à l’avance le petit nom dont je l’orne à présent dans l’intimité). Je hurlai « Je suis là ! Tout va bien ! Je t’aime ! », et le ravin ombré et moite qui séparait maintenant mon sein du second, dont j’apercevais la pointe vibrer au loin, m’en renvoya l’écho. Une main gigantesque, mais toujours aussi fine, apparut alors, obscurcissant mon ciel, mais en cherchant à me caresser du bout d’un doigt elle faillit m’assommer, et me fit dégringoler étourdi de mon promontoire jusqu’au coeur de la vasque molletonnée de son nombril, qui me recueillit sonné, mais indemne.

 

M’y cueillant alors, la même main m’introduisit sûrement, me tenant ferme bras au corps, au plus intime de ma géante, une caverne étroitement douce où elle me fit glisser adroitement, délicatement, d’avant en arrière et d’arrière en avant, jusqu’à ce qu’un flot d’abondance teinté de rouge m’entraîne vers la sortie, me déposant aux lèvres de l’ouverture. Tandis que le corps de celle qui, depuis, s’est transformée en mon épouse, commençait de rapetisser, je fus secoué d’un ultime soubresaut et je mêlai un filet de plaisir (vermicelle blanchâtre qui s’évanouit aussitôt) au sien, à la suite de quoi je me mis à regrandir, et nous retrouvâmes nos tailles normales presque en même temps.

 

La seconde partie de la nuit fut encore plus douce, alternant enflements et rapetissements suivis de renflements et rerapetissements, entrecoupés de confidences sur nos monstruosités respectives (elle me raconta ses précédentes expériences amoureuses, toutes malheureuses, aucun des beaux parleurs qui avaient eu le courage de l’aborder et l’heur de lui plaire au point de pouvoir la mener en un endroit tranquille, de l’avocat au boxeur, n’ayant pu résister à l’envie dominante de fuir à toutes jambes lorsqu’elle s’était mise à gonfler sous leurs mains), qui se compensaient, et, au petit matin, nous avions décidé de vivre dorénavant ensemble.

 

Ce qui fut réalisé, et dure encore. Par contre, je n’ai jamais retrouvé mon cartable en cuir.

 

*

 

En relisant ce midi ce que j’ai écrit, il m’est venu une illumination (qui me récompense d’avoir songé à, et peiné pour, matérialiser cette intime confession) : je viens de comprendre comment recouvrer ma taille diurne ordinaire lorsque je suis Petibou (je m’étais bien sûr métamorphosé en Petibou dès que j’avais pensé à décrire ma femme, et au cours de ma relecture, et c’est avec les pieds que j’ai achevé de taper ce texte sur mon clavier). Et vous ?...

 

C’est tout. Je peux facilement imaginer en quelles dispositions se trouve votre bel esprit alors que vous achevez de lire ces lignes, Monsieur le Responsable : Vous cherchez un adjectif pour le qualifier, que vous ne trouvez pas. Moi non plus. Aussi, comme il est très tôt maintenant, et que de surcroît le sommeil me gagne, j’en resterai là de cette lettre, et, vous en souhaitant bonne réception, je ne […]

 

 

[à suivre]

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