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Le Moyen Véhicule : Auto d'édition Hypertexte à prétention littéraire

EN MÊME CONTRETEMPS

François Cosmos

Le discours sur le déconfinement d’Emmanuel Macron aura vraisemblablement marqué le moment où l’En-même-temps, cette pure construction théorique et politico-économique, sera venue se fracasser contre le mur de la dure loi de la Nature, confirmant ainsi qu’elle n’était qu’une grosse coquille vide. En effet, on ne peut pas en même temps avoir comme « objectif premier […] la santé de tous les Français », tout en réouvrant les écoles, dont on nous a expliqué, en commençant par elles le confinement, qu’elles étaient de véritables bouillons de culture par lesquels se diffusait massivement le virus dans la population, surtout quand on se dit conscient qu’« une très faible minorité de Français ont contracté le [sic] Covid-19 […] que nous sommes loin de ce que les spécialistes appellent l’immunité collective, c’est-à-dire ce moment où le virus arrête de lui-même sa circulation parce que suffisamment d’entre nous l’avons eu », et donc qu’on l’est qu’on prolonge ainsi de plusieurs semaines à plusieurs mois la période pendant laquelle on aura encore des centaines de morts chaque jour en raison du déconfinement. Il est des activités économiques, des manières de les mener, qui sont incompatibles avec la santé, comme avec un respect de l’environnement minimal pour ne pas avoir de choc en retour.

Mais comme pour les pesticides, comme depuis l’époque de l’amiante et du sang contaminé, le Pouvoir a toujours du mal avec le principe de précaution, il préfère ne pas y voir un autre principe de réalité, il n’y a curieusement plus de TINA quand il n’est plus question de gagner de l’argent, il y a toujours d’autres alternatives à l’arrêt ou à la modération de certaines activités économiques, on nous sort alors le revolver des emplois à préserver. Mais si l’on veut continuer à vivre durablement et sainement, y a-t-il une alternative à baisser drastiquement les déplacements aériens, à stopper le tourisme de masse, à réduire la production et la circulation d’automobiles, à cesser l’éventrement des montagnes à coups de tunnels, le massacre des forêts à la tronçonneuse, et ainsi de suite ? Mais les conséquences économiques, que vont faire tous ces gens mis à pied ? Se reconvertir, non, c’est bien ce qu’on a dit à ceux des mines et de la sidérurgie, à ceux de Goodyear ou de GM&S, à ceux qui subissaient les délocalisations nécessitées par les baisses d’activité ou l’avidité des actionnaires, ou qui exerçaient dans des branches qui avaient fait leur temps ? Ça prend du temps ? Pourtant on a vu qu’en quelques jours, des parfumeurs ont pu se reconvertir en fabricants de gel hydroalcoolique, des ateliers de haute couture se mettre à la confection de masques, et General Motors accueillir des lignes de production de respirateurs, il suffit que l’imagination prenne le pouvoir.

Peut-être que si ça a plus de mal encore à passer que l’alternative inverse, surtout en haut, c’est qu’il y a une différence de taille ? Vous avez une minute… Ben oui, jusque-là ce n’étaient que les ouvriers, les exécutants, qui payaient les pots cassés, alors que maintenant, les actionnaires, les décideurs, les exécuteurs feraient aussi partie des exécutés.

Le 11 mai prochain il n’y aura, sauf efficacité démontrée d’ici là de l’un des traitements actuellement testés, ce que personne ne peut encore prévoir, rien de changé par rapport au 10, dernier jour du confinement, et il sera d’ailleurs intéressant d’observer comment les mots d’ordre ressassés depuis des semaines vont soudainement s’inverser à minuit, ou à 2 h du matin comme pour le changement d’heure, désormais #Restezpaschezvous et « Toutes les 8 minutes, vous causez une mort », tandis que les mauvais sujets qui n’en pouvaient plus de ne plus sortir vont se transformer à leur tour en combattants de 1ère ligne de la reprise économique ? Bien sûr on nous promet d’ici là, comme depuis le début, des masques, du gel, des consignes, des procédures, mais on ne sait pas pourquoi, on a comme un doute…

De l’En-même-temps, il ne reste donc vraiment plus que l’enveloppe en miettes, sur le rythme une phrase de gauche (le fameux « Dis quelque chose de gauche » de Nanni Moretti), « […] la situation actuelle creuse des inégalités. Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents » (comme s’il y avait là quelque chose de fondamentalement changé par rapport à la situation antérieure), presque immédiatement suivie et contrebalancée par (et ayant pour but de faire passer le principal,) la phrase de droite, « Le 11 mai, il s’agira aussi de permettre au plus grand nombre de retourner travailler ». On semble même être revenu au point de départ, au premier mouvement qu’ont eu face à la pandémie tous les gouvernements libéraux et à droite de la Planète, laisser faire la Nature, l’Immunisation collective, même si elle est cruelle pour des centaines de milliers de faibles, de pauvres et de sacrifiés, car la production de « richesses » ne peut pas attendre le bon vouloir de ce bout d’ARN qui ne comprend rien à l’économie. Et ce sont d’ailleurs les gouvernements les plus libéraux, le danois, l’autrichien, qui sont les plus pressés et procèdent les premiers au déconfinement.

Mais comme l’En-même-temps vient de démontrer son impossibilité, comme il va bien falloir choisir entre la solution libérale ou prétendument « illibérale » de droite qui pointe le bout de son nez, et une solution écologiquement et socialement responsable, comme la veille du 11 est un autre 10 mai possible, comme d’ici là on aura peut-être constaté de premiers effets négatifs du déconfinement – et on est désolés de devoir encore compter avec un virus nuisible pour le démontrer, mais s’il y a des sacrifiés, de nouveaux morts, au moins qu’ils ne soient pas inutiles et servent une bonne cause –, comme il faut savoir « dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et [lui] le premier », on peut rêver d’un Après qui commencerait maintenant, car Après, après le 10 mai, ce sera trop tard.

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