Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le Moyen Véhicule : Auto d'édition Hypertexte à prétention littéraire

TOUCHE PAS LA FEMME BLANCHE

François Cosmos

Prenons un instant au sérieux – ce qui semble fait à longueur de colonnes par ailleurs – le reproche fait à Kathryn Bigelow d'être illégitime à filmer la « douleur noire » dans Detroit : on ne peut parler que de ce qu'on a vécu ou vit soi-même, et donc seule une personne noire peut filmer le racisme subi par les personnes noires[1]. Bon déjà, si l'on prend l'argument au pied de la lettre, seules les victimes des évènements de Détroit possèderaient alors la légitimité pour décrire ce qu'ils ont subi – et donc aucun artiste noir actuel ne pourrait en parler non plus, ce qui veut dire qu'on ne peut pas en parler du tout. Mais supposons que ces évènements soient une expression paroxystique, et donc symbolique, du racisme anti-noir en général, y compris dans ses expressions plus quotidiennes. Le reproche signifie donc qu'aucune personne humaine qui, même si elle n'est pas raciste, ne subit pas ce racisme parce que blanche, est incapable de s'identifier à des personnes noires, de se mettre à leur place, de comprendre leur « douleur ». C'est un argument racialiste, et même raciste, qui nie notre commune humanité. Il n'existe de personne noire, de condition noire, que parce que la couleur de la peau masque à certaines personnes l'être humain qui vit dessous et avec – les yeux et les cheveux peuvent être noirs aussi, sans qu'on compartimente l'Humanité entre ceux qui les ont, ou pas. Parmi ces personnes qui voient du noir avant de voir un être humain, il y a des personnes non-noires, qui sont clairement racistes, mais il y a aussi des personnes noires, qui ne le sont pas moins.

 


[1] Ne pas le prendre au sérieux prendrait plus de temps, car il faudrait faire la liste de tous les artistes et œuvres qui deviendraient illégitimes, de Flaubert se prenant pour Emma Bovary à Emily Brontë se permettant de décrire la psychologie de Heathcliff, en incluant ceux qui ont traité du racisme anti-noir au cinéma, comme Tarantino, à qui à ma connaissance on n'a rien reproché – est-ce parce qu'il s'agissait avec Django Unchained d'un pamphlet, d'une charge, qui s'accorde mieux avec les visions d'un monde divisé en catégories simplistes ?

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires